Après les courriels clos par la formule « belle journée », les vœux ont déferlé en janvier : 2019 s’annonce « belle ». Comment lire ce glissement de vocabulaire ?
Par Mary Catherine Lavissière, 30.01.2019
"Après les courriels clos par la formule « belle journée », les vœux ont déferlé en janvier : 2019 s’annonce « belle ». De la mairie du 18ᵉ, à l’EFS de Bretagne de Bezons à Saint-Galmier, au Parlement européen et même au ministère de l’Éducation, la « belle année » prédomine. Fini l’ère du bon, voici l’ère du beau.
Comment lire cette tendance ? Ceux qui adhèrent aux théories linguistiques qui prônent des structures profondes y voient une simple variation de surface qui n’aurait pas de sens propre et serait équivalente à l’ancienne formule. Une sorte d’emballage qui cache le même cadeau que « bonne année ». Pourtant, « belle année » ne dit pas exactement la même chose que « bonne année ».
Des mots siamois
On peut avoir l’impression que la formule est plus fraîche, alors que bonne année serait devenu une expression plate. D’un autre côté, fatigués par le règne de l’apparence et l’apogée de la retouche et du filtre à l’ère d’Instagram, on peut ressentir une certaine gêne : il existe une différence fondamentale entre le bon et le beau. En effet, rien n’empêche que nous mourions une journée d’une luminosité débordante. À choisir, nous préférerions largement vivre une bonne journée bien moche.
De même, « avoir la belle vie », est plutôt synonyme de superficialité, tandis qu’Aristote et ses contemporains nous enjoignaient plutôt à rechercher la vie bonne. Enfin, même à l’époque de #MeToo, dire à une femme qu’elle est belle peut encore passer pour un compliment, mais lui dire qu’elle est bonne, c’est décidément autre chose.
Que dire : bonne ou belle ? Que faire de ces expressions siamoises employées en janvier, mois de Janus, le dieu aux deux visages ? La linguistique peut nous éclairer. L’héritage linguistique guillaumien considère notamment que la surface de la langue, c’est-à-dire les mots, peuvent nous donner des informations sur les processus cognitifs sous-jacents. À partir de là, trois pistes s’offrent à nous."
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