On a déjà parlé plusieurs fois de l’art de la mémoire dans nos colonnes : ne s’agit-il pas de la première technique d’amélioration mentale ? Officiellement, l’art de la mémoire est né au sein de la civilisation gréco-romaine. Mais cette vision est peut-être bien trop eurocentrique… Dans un article fascinant pour la revue Aeon, Lynne Kelly (blog, @lynne_kelly) nous présente quelques techniques « d’art de la mémoire » utilisées par les populations de chasseurs-cueilleurs du monde entier. Cet article reprend bon nombre d’idées qu’elle expose dans son récent et passionnant ouvrage, The Memory Code.
Par Rémi Sussan, 10.12.2017
L’incroyable mémoire des Anciens
"... Ce qui caractérise un grand nombre de civilisations traditionnelles, explique-t-elle, est la prodigieuse mémoire possédée par leurs Anciens. Ainsi, nous rappelle-t-elle, les Navajos sont-ils capables de se remémorer jusqu’à 700 insectes avec leur aspect, habitat, leur comportement… et les Mangyans des Philippines seraient en mesure de reconnaître 1 625 plantes différentes, dont certaines inconnues de la science occidentale.
Et bien entendu, leurs connaissances vont bien au-delà des insectes ou des plantes. Les Anciens de ces peuples seraient capables d’accomplir les mêmes exploits de mémoire dans tous les domaines de leur environnement…"
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Le monde dans son jardin
"Les performances des Anciens nous paraissent incroyables. Lynne Kelly a voulu passer à la pratique. Ce qu’elle raconte dans son livre The Memory Code.
Elle a utilisé comme théâtre de ses pistes de chants sa propre maison, son jardin et l’environnement immédiat. Elle y a stocké diverses formes d’information, par exemple la liste des pays, classés par ordre de population. Les 120 premiers pays sont « placés » dans sa maison et son jardin ; les autres sur la route qu’elle prend quotidiennement pour se rendre à la boulangerie. Elle a également fabriqué des « micro-espaces de mémoire », un à la semblance d’un lukasa, d’autres étant des jeux de cartes ou de tarots.
Au final, elle a été convaincue par l’efficacité de ces pratiques. Elle n’était pas satisfaite des ouvrages contemporains de mnémotechniques, qui vous apprennent comment mémoriser les décimales de pi, ou l’ordre des cartes dans un jeu… Elle cherchait quelque chose de plus fondamental, des « méthodes pour mémoriser l’information qui me donneraient, écrit-elle dans The Memory Code, la capacité d’avoir une plus large représentation du monde qui m’entoure…Je voulais mémoriser des connaissances d’une manière qui améliorerait la vie quotidienne ».
Un souhait que la mise en pratique des ces techniques « archaïques » lui a permis de réaliser : « Les diverses techniques s’intègrent et se mélangent entre elles, et se nourrissent mutuellement, créant un moyen incroyable de mémoriser pratiquement n’importe quoi. Ma pensée devient plus dépendante des images et des émotions et moins des mots. » Lynne Kelly précise aussi à plusieurs reprises qu’un tel mode de connaissance, non linéaire, est très difficile à décrire aux esprits contemporains, ce qui explique que les représentants de ces peuples chasseurs-cueilleurs aient eu du mal à présenter leur méthode aux visiteurs occidentaux, qui souvent ne saisissaient pas le caractère hautement utile et pragmatique de ces chants, danses, ou cérémonies."
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