"Aujourd'hui, les lignes bougent. Si on ne s'est pas débarrassé de tous les poncifs autour de la production contemporaine du continent africain, force est de constater qu'émerge un engouement certain pour cette dernière, les expositions d'art africain fleurissent et une revue dédiée a (enfin) vu le jour : something we Africans got. Après avoir feuilleté les quelque 200 pages du premier numéro de ce beau trimestriel bilingue, pointu et richement illustré, j'ai contacté son instigatrice, la pétulante Franco-Ivoirienne Anna-Alix Koffi.
Creators : Bonjour Anna-Alix. Tu étais derrière OFF the wall, un trimestriel consacré à la photographie émergente, tu reviens maintenant avec something we Africans got, sur l'art contemporain africain. Comment résumerais-tu ton nouveau projet en quelques mots ?
Anna-Alix Koffi : J'ai une formule : « C'est l'Afrique par ceux qui savent pour ceux qui ne savent pas ». Et à moi la première ! C'est fait pour tous ces jeunes trentenaires, dont je fais partie, qui ne savent pas placer toutes les capitales d'Afrique sur la carte. C'est un bel objet pour en apprendre plus sur l'Afrique. […]
Avant something we Africans got , il n'y avait finalement pas de revue dédiée exclusivement aux arts africains en France. Il y a bien eu la Revue noire (…) mais c'est à peu près tout.
Non, en effet. J'étais justement à Venise avec Simon Njami — l'un des fondateurs de la Revue Noire — qui me disait « attends, tu n'es pas encore à ce niveau-là », je lui ai dit : « non, mais je vais y arriver ». C'est mon modèle, j'aime beaucoup ce qu'ils ont fait, c'était quelque chose de sérieux. […]
Pourquoi ce titre, au fait ?
« Something we Africans got », c'est une formule que j'aime beaucoup. Alors, elle est à double tranchant, parce que l'acronyme, c'est « S.W.A.G. » Mais ne surtout pas appeler ce magazine « swag » ! Parce que l'Afrique est montrée de deux façons dans les médias — disons trois, soyons indulgents. Soit c'est la misère totale […]. Soit, ce sont des barbares, qui se tuent entre eux à la machette […] Et de l'autre côté, il y a l'Africain hyper cool, hyper looké, danseur, avec un sens du style, etc., etc. […] — ça, c'est le « swag ». Mais tout ça, ce sont des raccourcis. Alors, something we Africans got, c'est un titre long, complexe, c'est long à dire […]. Entre l'Algérie et le Cap, finalement, c'est quoi l'Afrique ? Moi, je suis de Côte d'Ivoire mais j'ai une culture complètement différente de celle d'un Éthiopien. […]
Tu veux dépasser les stéréotypes.
Voilà. Donc c'est quoi ce magazine ? C'est justement tout ce qu'il y a entre la misère et la coolitude. Y a énormément d'intellectuels, de travaux de recherche faits par des Africains et des non-Africains — ça aussi, c'est important, parce que l'Afrique, pour moi, ce n'est pas quelque chose de fermé, c'est une terre d'échanges, c'est ouvert. C'est pour ça aussi que j'ai bien veillé à ce qu'il y ait aussi des artistes non-africains, qui travaillent sur l'Afrique. Par exemple, dans le numéro photo, il y aura Viviane Sassen, Dominique Issermann, qui est parti en Afrique et qui a photographié l'Afrique ; dans d'autres numéros, il y aura Harry Gruyaert, qui adore le Maroc… Ce sont toujours des gens avec une vision, quelque chose d'assez fort, et une sincérité. […]
Et comment choisis-tu les contributeurs ?
Au hasard des rencontres. […] C'est Seloua Luste Boulbina qui a fait le dossier sur l'Algérie, c'est une philosophe, je l'ai rencontrée à Londres, sur la foire 1:54. On a discuté puis on a très vite accroché, (…). Elle a donc énormément contribué à ce numéro un. À chaque numéro, il y a un pays en focus, que j'essaie de donner à une tête pensante du milieu — le prochain, c'est la Côte d'Ivoire. Là, c'est l'Algérie. […]
Comment te définis-tu d'ailleurs ? Comme éditrice ?
Je dis que je suis éditrice, oui. Ou « art entrepreneuse ». J'arrive là sans réelles connaissances, avec juste une envie, une énergie, une idée bien définie et j'essaie d'enrôler des personnes qui savent. Là, avec cette nouvelle revue, j'aborde l'art contemporain — je n'y connais absolument rien. […] Je suis arrivée dans l'édition quasiment par hasard mais je me suis découverte une vocation incroyable. J'hésitais entre conception-rédaction, publicité, journalisme, mode, je ne savais pas trop quoi choisir, et puis finalement, j'ai atterri comme pigiste dans une revue qui était en train de se monter : More. J'ai vu qu'il n'y avait pas de rédacteur-en-chef alors j'ai dit « ok, je veux faire ça ». […]
Ta revue semble tomber à point nommé : on constate une multiplication des expositions consacrées aux arts africains ces derniers temps. […] Est-ce que cet intérêt ne serait pas guidé par un certain goût de l'exotisme ?
Non, je ne pense pas. Comme il y a beaucoup d'argent, c'est plutôt : « Dans quoi on met l'argent maintenant ? » Il y a un vrai intérêt. Je reviens de la Biennale de Venise, c'était incroyable ! Les pavillons africains étaient exceptionnels. […] C'est par l'art qu'on va recoloniser ; on va apprendre aux gens comment on vit, qui on est, comment on réfléchit. […] Je pense que dans deux, trois ans, on en aura fini de ces « spécial Afrique », ou autre, parce que ce sera être rentré dans les mœurs — comme l'art chinois. […] Donc, oui, on va en finir avec « art africain », ça va être « art » tout court. C'est le processus, donc les gens qui se plaignent pour le moment : c'est normal ! Ça va arriver, c'est notre tour, c'est enclenché. Pour moi, c'est sur les rails, là. […] »
> Extraits de l’entretien mené par Marie Fantozzi publié sur creators.vice.com à retrouver en intégralité sur http://bit.ly/2r85z4n