Jacques Pain est Professeur émérite de Sciences de l’Éducation, Fondateur du secteur de recherches “Crise, école, terrains sensibles” et cofondateur des éditions Matrice.
Via alozach
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Interview réalisée par le cafepedagogique où il est également question de la place et de la définition des sciences de l'Education, qui doivent rester généralistes selon Jacques Pain.
Extraits :
Vous avez étudié une forme de maltraitance scolaire par négligence ; lorsque les établissements ignorent la parole des élèves dans une vie interne indigente en relation et en humanité ainsi qu’un déficit d’accueil, d’écoute et de pédagogie ... Pouvez-vous préciser cette notion de maltraitance scolaire par négligence ?
J’ai acquis la conviction par mes réflexions sur les violences à l’école que l’institution est une “forme” sociale à laquelle il faut porter le plus grand soin. C’est l’institution qui permet de vivre, de travailler, d’apprendre. Et les institutions se portent plus ou moins bien, à la mesure des personnes qui les habitent. Ce sont donc des ensembles humains fragiles, au climat aléatoire. Elles sont à notre mesure. J’ai donc distingué des “états” institutionnels: comme dans tout groupe, il y a des “malmenances”, des bruits de structure, des ratés, des abus d’attitudes.
Lorsque ces dysfonctionnements prennent de l’amplitude, nous arrivons à une “maltraitance” institutionnelle, où l’institution privilégie son maintien, son intégrité, ses routines, au détriment des personnes et du désir de l’un et de l’autre. Enfin, si l’institution se bloque sur ses rigidités, son exercice, sur la répétition, nous nous installons dans la “violence institutionnelle”. On ne peut pas comprendre la déstructuration de l’école française sans penser à la violence de l’institution élitaire qu’elle fut. Elle est à présent largement maltraitante pour les populations qu’elle ne choisit pas. Elle se comporte comme une marâtre à l’égard du commun des élèves. Elle l’est alors par négligence, car elle ne se donne pas les moyens d’y remédier, où sinon à la marge, dans ses banlieues, par l’accident heureux d’une classe accueillante. Or le monde est à sa porte.
Lors de vos recherches vous avez mis en exergue une forme extrêmisée de maltraitance à l’encontre des élèves couverte par l’indifférence, l’incompétence ou le fatalisme des adultes. Pouvez-vous nous en parler ?
Il a fallu longtemps pour que le ministère et “l’école” s’inquiètent des violences scolaires, celles bien sûr à ses yeux des élèves avant tout, car comme on l’a vu la violence de l’institution, du système, des notes, du forcing de la réussite, de l’enseignement et des enseignants sont passés sous silence. En gros l’école en est à cette injonction bien connue : ça passe ou ça casse ! Il y a encore trop souvent dans nos écoles un état des lieux dramatique, physiquement dégradé, des locaux aux toilettes, bien loin du “bien être” préconisé par la commission européenne.
Mais surtout une tolérance malsaine pour les rapports de force, les ségrégations sociologiques, ethniques, les victimations structurelles. Le corps enseignant est par mission fataliste, on sait qui peut réussir à l’école, et tout se joue comme c’est écrit dans les tables sociales. J’ai connu des élèves cassés par l’angoisse sociale de réussir et du coup paralysés par la moindre réussite. Là-dessus un certain nombre d’enseignants opèrent à cœur ouvert, au laser de la moquerie, cette angoisse d’accompagnement. Malgré les mises en garde officielles, il faut entendre ces avis éclairés sur leurs propres élèves pour saisir le drame. Si les propos ne sont plus sur les bulletins, et encore, ils émaillent élégamment les commentaires. Un élève “bête comme ses pieds” est de ces “mauvais” élèves qui encombrent l’intelligence de “l’ensaignant”, comme on l’écrivait en 68 ! Et puis: qui parle à qui? Il suffit de mesurer la fréquence des “interactions ”en classe et à l’école pour détecter les cercles de qualité sociaux qui sélectionnent les réussites.